L’AMF pose les premiers jalons de sa doctrine sur l’évaluation des investissements non cotés dans le capital investissement

L’AMF vient de publier une synthèse de contrôles courts qu’elle a menés auprès de 5 sociétés de capital investissement. Cette synthèse, très attendue, présente de forts enjeux pour les acteurs.

Cet article a été publié dans Option Finance.

La Directive AIFM avait certes introduit en 2013 des obligations en matière de processus de valorisation indépendante et de documentation des évaluations. Et les guides de place tels que les guides IPEV et AIMA sont certes largement utilisés pour les recommandations qu’ils émettent sur les pratiques d’évaluation et sur la gouvernance interne. Cependant, les sociétés de gestion avaient des interrogations sur les attentes du régulateur en termes de gouvernance interne et de pratiques d’évaluation.

Cette synthèse des contrôles sur la valorisation que le régulateur vient de dévoiler tombe à point nommé, puisque les guides de place (IPEV et AIMA) ont fait l’objet d’une mise à jour récente, ce qui a été beaucoup commenté dans la presse, notamment au regard de la disparition de la méthode dite de « Price of Recent Investment » (ou coût d’acquisition), qui ne peut plus être utilisée par défaut sur une longue période. C’est dire que l’actualité est brulante autour des problématiques d’évaluation.

Que contient-donc cette synthèse AMF et quels sont les principaux enseignements à tirer?

  • Documentation des évaluations

Le niveau de documentation des évaluations n’est pas à la hauteur puisque l’AMF indique lors de ces contrôles que de nombreuses explications manquent concernant par exemple les choix de méthodes de valorisation ou les raisons du choix des agrégats (méthode des multiples). Comme le rappelle l’AMF, le valorisateur se doit de « documenter les diligences effectuées », de formaliser « les raisons l’ayant amené à valider les évolutions constatées de la méthodologie ». Le temps nécessaire à cette démarche de documentation ne doit pas être négligé car il s’agit d’un temps incompressible et récurrent. Qui plus est, les équipes internes ont souvent du mal à absorber cette charge de travail supplémentaire.

Le régulateur note qu’une fonction valorisation a bien été mise en place pour les sociétés contrôlées conformément à la Directive AIFM. Le régulateur observe également que près de la moitié des sociétés contrôlées ont fait appel à un évaluateur indépendant pour les assister, preuve que le marché français converge petit à petit vers les pratiques issues du modèle anglo-saxon, où l’on observe que l’insertion d’un expert indépendant externe au sein du dispositif interne est très répandu, sous la pression des investisseurs finaux notamment.

  • Procédure de valorisation

Le régulateur indique dans son rapport que les sociétés de gestion doivent disposer d’une procédure de valorisation précise, détaillée, opérationnelle, adaptée et la plus complète possible. Et le régulateur précise également que cette politique doit exposer les modalités de valorisations des obligations convertibles, et plus généralement de tous les types d’actifs détenus par les fonds.

Un nombre important d’acteurs de la place pourraient se sentir concernés par cette observation. Il est en effet asset courant en France de voir des sociétés de gestion investir dans différentes catégories d’instruments financiers émis par une société donnée, avec des investissements sous la forme par exemple d’actions ordinaires, d’actions de préférence et d’obligations convertibles. Mais en regardant la politique de valorisation, on s’aperçoit qu’elle ne traite souvent que de méthodes permettant d’appréhender la valeur d’entreprise d’une société de façon globale, ou bien d’appréhender la valeur totale de ses tires, sans donner de précisions sur la façon dont les actions de préférence seraient valorisées.

La valorisation d’instruments tels que les obligations convertibles est également très rarement mentionnée. A cet égard, il est intéressant de constater que les Guidelines IPEV viennent dans leur dernière édition 2018 de donner des recommandations claires concernant l’évaluation des instruments de dette, et les Guidelines IPEV font également des recommandations précises pour valoriser la composante optionnelle de ces instruments.

Au niveau de la procédure d’évaluation et en lien avec la dernière version des guidelines IPEV, l’AMF fait le constat que certaines valorisations ne sont pas mises à jour, et que certaines valorisations sont maintenues au prix de revient (ou « Price of Recent Investment ») pendant de longues périodes sans justification, ce qui est contradiction avec la dernière version des Guidelines IPEV.

  • Transferts entre fonds

Comme le précise la position recommandation AMF 2012-11, « les transferts de participations entre portefeuilles doivent être réalisés dans l’intérêt du fonds cédant comme dans celui du fonds acquéreur et dans des conditions de valorisation adaptées ». En la matière, France Invest précise, à travers son règlement de déontologie, que « la détermination de la valorisation de l’actif cédé par un ou plusieurs experts indépendants, […], est un minimum indispensable pour effectuer ce type d’opération.Les investisseurs eux-mêmes sont très vigilants sur les transferts entre fonds car ils ont un devoir fiduciaire vis-à-vis de leurs investisseurs finaux, et ne doivent pas allouer de fonds auprès de sociétés de gestion qui s’engageraient dans des transferts entre fonds sans qu’une validation indépendante du prix n’ait pu être effectuée. Par ailleurs, la détermination d’un prix de transfert est subjectif car il y a toujours une part de jugement dans l’évaluation. Et s’il est parfois difficile de démontrer qu’une évaluation est fausse, en revanche il est très facile de démontrer que le board d’une société de gestion n’a pas pris les mesures suffisantes pour s’assurer de l’équité du prix.

Ainsi, même si elle n’est pas de nature à se substituer à la responsabilité fiduciaire de la société de gestion, l’intervention d’un expert indépendant appelé à émettre une attestation d’équité (ou « fairness opinion ») relève incontestablement des règles de bonne gouvernance. Une attestation d’équité repose sur une analyse de valeur qui requière un niveau de diligence et de formalisme qui est bien supérieur à celui d’une évaluation réalisée dans le cadre d’une opération courante de reporting financier, par exemple. Par ailleurs, l’attestation d’équité fait directement référence à la transaction envisagée et elle conclue sur l’équité ou l’absence d’équité pour l’acquéreur, le cédant ou l’ensemble des parties. Pour les fonds, cette procédure est certes plus onéreuse car elle engage également la responsabilité de l’expert indépendant, qui par conséquent s’attachera à délivrer une attestation fondée sur une analyse robuste et argumentée.

Nous observons que les attestations d’équité se généralisent partout en Europe dans le cas de transfert de fonds, et plus généralement, elles constituent un prérequis pour toute transaction entre parties liées.

  • Transparence vis-à-vis des investisseurs:

Sur ce thème, l’AMF vient battre en brèche des idées reçues selon lesquelles un investisseur qui souscrit aux parts d’un fonds fermé pour une période d’une dizaine d’année par exemple n’aurait finalement pas besoin de reporting régulier sur la valeur de ses investissements puisqu’au fond, la seule chose qui l’intéresse, c’est de connaître son prix de sortie dans dix ans. A cet égard, nous rappelons que les investisseurs dans les fonds doivent eux-mêmes reporter leurs investissements à leur juste valeur dans leurs états financiers. Ils ont la possibilité de réaliser des arbitrages sur le marché secondaire entre classes d’actifs ou bien au sein même d’une classe d’actifs. Et ces investisseurs ont mis en place des mécanismes internes d’incitation de leurs employés basés sur l’évolution de la juste valeur. Les investisseurs ont donc besoin d’une valorisation régulière et documentée de chacun de leurs investissements à la juste valeur.

L’AMF demande à ce que les rapports périodiques de gestion des fonds présentent le détail des méthodes de valorisation qui ont été utilisées et des hypothèses qui ont été retenues pour chaque ligne en portefeuille. A défaut d’information dans les rapports périodiques, l’AMF préconise de renvoyer à une description disponible par ailleurs. Ces constats sont extrêmement novateurs puisque la culture du secret ou de la discrétion sur les valorisations (qui est souvent interprétée par l’investisseur final comme un manque de transparence) est encore très répandue sur la place.

  • Dispositif de contrôle interne:

Au niveau du dispositif de contrôle interne, l’AMF indique qu’il est indispensable de formaliser des fiches de contrôle de la valorisation explicites et détaillées, accompagnées de documents et justificatifs sous-tendant les contrôles. Et il est nécessaire d’Intégrer dans la démarche de contrôle interne les enseignements tirés des sanctions de l’AMF portant sur les sociétés de capital-investissement.


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